Ou l’impératif de construire des stratégies atténuo-adaptatives ou adapto-atténuatives.

Les questions environnementales commencent à atterrir dans l’écosystème de la fabrique de la ville au début des années 2000. De façon très marginale d’abord, et uniquement par le prisme de l’atténuation – ou comment espérer « vaincre » le dérèglement climatique en s’attaquant à ses causes, les émissions de GES. Pendant presque 20 ans, tous les efforts se sont concentrés sur le neuf, et sur l’énergie – sur une toute petite partie du problème, donc.

Par Franck Boutté, Président de l’Atelier Franck Boutté

 

Plus récemment, la question du carbone émerge et élargit le spectre de l’atténuation en s’attaquant à la matière et à l’énergie de stock. L’exposition Matière grise au Pavillon de l’Arsenal en 2014 (commissariat Encore Heureux) marque un premier jalon dans la prise de conscience, suivi par l’ambitieux cahier des charges de la SOLIDEO en 2019, qui impose pour la première fois une comptabilité carbone aux porteurs de projets. Grand moment de solitude pour les opérateurs, qui ne savaient pas très bien à l’époque comment s’y prendre…

A peine ce virage amorcé qu’un autre, beaucoup plus violent, bouleverse toute la chaîne des acteurs : les crises systémiques, sanitaire d’abord en 2020, puis climatique lors des étés 2022 et 2023, imposent une remise en question de fond à travers la prise de conscience des risques. L’urgence des mesures à prendre pour s’en prémunir saute aux yeux de tous. Nous devenons collectivement prêts à mieux entendre les rapports du GIEC et la parole des experts qui criaient jusque-là dans le désert : le dérèglement climatique est là, et ne peut plus être empêché. L’inertie des phénomènes à l’œuvre, aggravée par la temporalité des projets, induit un décalage temporel qui ne fait qu’accentuer les difficultés : la situation actuelle est le fait des mauvaises décisions d’hier, et les décisions d’aujourd’hui n’auront d’impact que demain…

 

Une évidence apparaît : il faut s’adapter.

Depuis quelques mois, l’adaptation est dans toutes les prises de parole, dans tous les médias spécialisés ou généralistes, adoptée massivement par les collectivités qui y voient une thématique porteuse d’intérêt général (et parfois d’intérêt… électoral), et atterrit dans beaucoup de cahier des charges dans les territoires.

Nous ne pouvons que nous en réjouir, puisque nous portons à l’Atelier depuis longtemps les questions centrales de confort à l’horizon 2050 dans l’ensemble des projets urbains ou bâtis, neufs ou réhabilités, sur lesquels nous intervenons. Et que nous portons haut et fort depuis la fin de l’année 2022 l’importance cruciale des enjeux d’adaptation des territoires.

 

Mais attention à ne pas remplacer un dogme par un autre.

L’adaptation, aussi nécessaire qu’elle soit, ne doit jamais prendre le pas sur l’atténuation : si nous ne faisons pas tout pour diminuer notre impact et se placer sur la moins mauvaise des trajectoires, les meilleures stratégies d’adaptation seront vaines. Car on ne peut pas s’adapter à un monde à +7°. Ou en tout cas, pas tout le monde…

 

Il faut collectivement s’atteler à la recherche de stratégies de projet atténuo-adaptatives, et faire de l’adaptation le cheval de Troie de la transition écologique : relevant le plus souvent de la puissance publique par l’aménagement des espaces publics, assez simple à mettre en place grâce à des dispositifs de rafraîchissement adiabatique (de l’eau, du vent, de l’ombre et de la végétalisation), séduisant par les bénéfices relativement rapides qu’elle apporte, l’adaptation convainc tout le monde, et engage les citoyens – beaucoup plus facilement que des efforts d’atténuation vécus comme des contraintes, ne plus voyager, se priver de viande, de voiture ou de smartphone…

 

Il faut donc inventer des stratégies de projet qui, tout en adressant l’adaptation, n’oublient ni l’atténuation, ni les questions d’usage et de confort, pour satisfaire les besoins des habitants d’aujourd’hui sans hypothéquer ceux des habitants de demain. Il faut aussi mobiliser les acteurs privés et inventer de nouveaux partenariats public-privé pour permettre le financement de ces stratégies d’atténuo-adaptation, véritable impératif écologique mais aussi enjeu économique, social et politique.