« L’un des défis majeurs dans l’immobilier aujourd’hui est de produire des logements de qualité, décarbonés et accessibles à tous »

 

 

Depuis dix ans, l’engagement dans la réduction de l’empreinte carbone dans le secteur immobilier a été une priorité. Dès la création de BBCA, il était évident que l’empreinte carbone deviendrait un enjeu crucial pour l’industrie, qui émet un tiers des émissions de carbone, à égalité avec le secteur des transports. À l’époque, le transport était souvent pointé du doigt comme le principal coupable des émissions de CO2 en France, mais il était tout aussi important de s’attaquer à l’immobilier.

 

Entretien avec Julien Pemezec, Directeur général délégué de Cogedim, pionnier du bas carbone et membre fondateur de l’Association BBCA au travers du groupe Altarea

 

 

Pourquoi avoir choisi de vous engager il y a 10 ans déjà à la création de BBCA ?

Julien Pemezec. Il y a dix ans, l’objectif était de partager ce constat et de créer un collectif d’acteurs, autour de BBCA, souhaitant s’engager à mieux comprendre l’état des lieux et à réfléchir collectivement aux solutions pour réduire l’empreinte carbone. Cet engagement a coïncidé avec la préparation de la COP 21 en France, ce qui a dynamisé le sujet et fédéré de nombreux acteurs : architectes, promoteurs, foncières, aménageurs …

 

Quelles avancées sur le front du bas carbone avez-vous constatées ?

Julien Pemezec. Très vite, il est apparu que le sujet de la réalisation des bâtiments et leur exploitation devaient être traités de front. Les réflexions sur les matériaux utilisés et les modes constructifs ont conduit à des progrès significatifs. En dix ans, les avancées en matière de décarbonation ont été remarquables, avec une réduction drastique de l’empreinte carbone grâce à des matériaux comme le béton bas carbone et le bois notamment.

Nous avons fait d’énormes efforts à l’instar de l’ensemble de la filière industrielle qui sait produire des matériaux (que ce soient des lavabos, des parquets, des fenêtres, des portes, etc.) avec une empreinte carbone réduite dans la dynamique impulsée par la RE2020. Les politiques énergétiques ont aussi évolué, avec un développement accru des énergies renouvelables et des solutions thermiques et électriques plus vertueuses

 

Quels sont les défis qui restent à relever

Julien Pemezec. L’un des défis majeurs dans l’immobilier aujourd’hui est de produire des logements de qualité, décarbonés et accessibles à tous. Cette équation est parfois difficile à résoudre. Cependant, il est crucial de se rappeler pourquoi nous le faisons : pour faire des choix bénéfiques à la fois pour la planète et pour les futurs habitants.

Il est essentiel que les choix que nous faisons en faveur de l’environnement s’accompagnent également de gains tangibles pour les clients en termes de confort. Par exemple, un logement doit offrir une facture énergétique plus faible et un meilleur confort, tout en étant capable de mieux résister aux vagues de chaleur. Outre la réduction des émissions de CO2, nous devons travailler à l’adaptation de nos bâtiments pour assurer confort et bien-être, notamment face aux périodes caniculaires. L’enjeu est de trouver le juste équilibre entre tous ces éléments pour réaliser des opérations de haute qualité qui répondent aux exigences du marché actuel et aux attentes de nos clients.

 

Comment envisagez-vous l’immobilier de demain dans les 10 prochaines années ?

Julien Pemezec. Dans dix ans, l’immobilier devra s’adapter à des facteurs exogènes climatiques toujours plus intenses, dans un environnement plus complexe et incertain. La rareté du foncier nous pousse à construire dans des endroits de plus en plus sophistiqués. Par exemple, le dernier projet que nous avons livré au-dessus du périphérique parisien, Hosta porte Brancion, illustre cette évolution. Il y a 20 ans, nous n’aurions pas envisagé de telles combinaisons foncières, mais aujourd’hui, c’est une nécessité due à la pression urbaine. Nous devons apporter encore plus de solutions de logement, ce qui signifie construire plus haut, rénover, surélever ou encore franchir des voies pour construire des bâtiments.

Notre trajectoire inclut également la réduction continue de l’empreinte carbone, avec un objectif de tendre vers la neutralité carbone fixé pour 2050. Cela implique non seulement de réduire notre empreinte carbone associée à notre acte de construire, mais aussi de développer des mécanismes de compensation. Tout cela doit se faire en apportant de réels bénéfices aux résidents, à un rythme acceptable par le marché.

 

Quels sont les modèles innovants et les solutions durables auxquels vous croyez ?

Julien Pemezec. En Ile-de-France, nous avons mis en place des solutions comme le double flux avec rafraîchissement et des brasseurs d’air, qui s’avèrent très performantes. Nous avons livré un bâtiment équipé de ces solutions, lors d’une période de forte chaleur il y a moins d’un mois, et les chambres étaient confortables. A Bordeaux, nous réalisons actuellement un grand ensemble pour étudiants en construction hors-site, à un rythme de production inédit. La conception même du bâtiment avec une approche bioclimatique constitue également une réponse durable.  Ces solutions, bien que prometteuses, doivent encore prouver leur viabilité et nous sommes constamment à l’affût de nouvelles innovations pour les expérimenter et les déployer à plus grande échelle.

 

Quelle est votre feuille de route pour atteindre la neutralité carbone ?

Julien Pemezec. Nous devrons nous appuyer sur plusieurs leviers clés pour atteindre cet objectif ambitieux. Tout d’abord, utiliser des procédés constructifs très bas carbone, comme le bois et le béton bas carbone. Ensuite, nous mettrons en place des systèmes d’exploitation énergétique très vertueux, comme la géothermie ou les réseaux de chaleur décarbonés. Et en plus de cela, nous devrons développer des actions de compensation carbone pour accompagner la réalisation de nos bâtiments.

A ce titre, nous avons été les premiers en France à générer des crédits carbone grâce à des projets pilotes, comme ceux réalisés à Boulogne (Evodia) et Rueil Malmaison sur l’écoquartier de l’Arsenal (Stellata). Ces projets sont essentiels pour tester et valider des solutions innovantes. Ils nécessitent souvent un effort collectif et sont accompagnés par les territoires pour ouvrir la voie à de nouvelles pratiques.

 

Avez-vous d’autres exemples d’opérations remarquables ?

Julien Pemezec. Il y en a beaucoup ! Nous avons par exemple une opération en cours à Biot qui est un exemple notable de transformation de bureaux en logements, où deux tiers de la structure des bâtiments existants ont été conservés, tandis que plus de 30 % des espaces artificialisés ont été renaturés.

Ce projet combine plusieurs éléments clés : l’acquisition d’un terrain à un prix équilibré, une transformation technique facilitée par les caractéristiques des immeubles d’origine, et un programme soutenu par une collectivité locale qui reconnaît la nécessité de s’adapter aux besoins en logements.

L’innovation a été poussée par le démantèlement des bâtiments existants et la récupération des pièces réutilisables, qui ont été intégrées dans le mobilier et la structure future du bâtiment. Cette approche d’économie circulaire est une composante essentielle des pratiques avant-gardistes dans la construction bas carbone.

 

Que diriez-vous un confrère ou un partenaire pour le convaincre de rejoindre l’association BBCA ?

Julien Pemezec. L’immobilier de demain devra être à la fois durable, qualitatif et accessible. Les innovations et les efforts collectifs seront essentiels pour relever les défis environnementaux et sociétaux. L’association BBCA joue un rôle clé dans la sensibilisation aux enjeux liés à l’empreinte carbone et aux défis climatiques associés. Elle réunit une diversité d’acteurs, allant des investisseurs institutionnels aux promoteurs de premier plan, sans oublier les aménageurs, les territoires, les bureaux d’études et bien sur les architectes. Cette diversité crée un think tank unique !

L’association se distingue par un niveau d’expertise élevé et une capacité à s’adapter aux enjeux du marché. Initialement axée sur les bureaux et le logement, sa réflexion s’est élargie pour inclure le commerce, les hôtels, les quartiers, faisant d’elle un lieu d’excellence sur le sujet de la construction bas carbone.

En termes de synergies pratiques, l’association fonctionne comme un lieu d’échanges efficace et pragmatique, favorisant les collaborations vertueuses entre ses membres. Rejoindre BBCA, c’est s’engager dans une démarche avant-gardiste et pionnière pour une construction bas carbone.